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737 MAX, la faute de Boeing (3)

Errare humanum est, perseverare diabolicum

Le 737 Max devait être le plus profitable des avions de l’histoire de Boeing mais deux failles mortelles transformèrent le rêve en cauchemar, qu'elle est la responsabilité de Boeing dans cette tragédie ? Aucune entreprise n'est à l’abri d’une défaillance, ce qui différencie les meilleures est leur capacité à les détecter et les traiter sans concession avec les normes de sécurité et de qualité qu'elles garantissent à leurs clients. Analyser la responsabilité de Boeing revient à déterminer à quel moment Boeing a pris conscience des failles du 737 Max et si les décisions prises étaient à la hauteur des standards de sécurité de l'aéronautique.

Rappelons que les problèmes qui affectent le 737 Max sont au nombre de trois : instabilité aérodynamique en phase de montée, automatisme de correction (MCAS) de trajectoire dangereux, absence d'information et de formation des pilotes sur cet automatisme nouveau ce à quoi s'ajoute la probable négligence de la FAA (le régulateur américain de l’aviation) dans son travail de vérification de la sécurité de l’avion conditionnant l'autorisation des vols commerciaux.

Quand Boeing a-t-il pris conscience de ces failles et quelles décisions ont-elles été prises ? Les mêmes questions se posent pour la FAA. De la réponse à ces questions dépendront l’avenir de Boeing. En effet, si Boeing était conscient de ces failles avant l’un des deux accidents, la compagnie et sa direction devront assumer la totale responsabilité de la mort de 343 personnes et sa réputation d’intégrité vis-à-vis de la sécurité de ses clients s’effondrerait.

Mais le scénario alternatif est encore pire, si Boeing n’a jamais eu conscience des faiblesses de son avion et de ses processus de conception, cela signifie qu’il a perdu le savoir-faire lui permettant de produire des avions sûrs. Sa responsabilité serait tout autant engagée mais par négligence et incompétence et non du fait d’une cynique ignorance de la réalité pour des motifs financiers, ce ne serait plus seulement l’intégrité de Boeing qui serait remise en cause mais sa crédibilité en tant qu’avionneur.

Si l’on en croit la communication de Boeing le 737 Max est un avion parfaitement sain ayant seulement besoin de quelques améliorations pour que tout rentre dans l’ordre, à aucun moment Boeing ne reconnait la moindre négligence, dans sa communication cela se traduit par la récurrence de l’expression ‘’améliorer la sécurité’’ qui signifie implicitement qu’elle n’a jamais été négligée.

La première faille, l’instabilité de l’avion en phase de montée en altitude a été découverte lors des essais en vol et non pendant la conception de l’avion, c’est-à-dire dans la période de janvier 2016 à mai 2017. Nous savons désormais que des inspecteurs de la FAA étaient présents dans le cockpit avec les pilotes d’essais quand l’instabilité est apparue. Jusqu’à présent la FAA affirme que Boeing n’avait fourni aucune information indiquant que le 737 Max avait un comportement différent de sa version précédente (le 737 NG). La FAA ment-elle ou bien, ce qui serait pire, la compétence de ses inspecteurs s’est-elle effondrée au point de ne pas déceler un changement majeur de comportement de l’avion ? Des informations récentes (septembre 2019) indiquent qu’il s’agirait d’un problème de compétence des inspecteurs, mais alors comment expliquer que la FAA n’ait pas approfondi ses inspections quand Boeing a décidé d’ajouter à l’avion système de correction de trajectoire ?

Boeing n’a pas expliqué dans quelles circonstances ni quand a été prise la décision de créer le MCAS, était-ce à la suite des recommandations des pilotes d’essais ou bien à la demande de la FAA ? Etait-ce ce au début des essais ou bien à la fin ? Pourquoi le MCAS est-il dépourvu de toute redondance propre aux systèmes critiques d’un avion, pourquoi a-t-il été mal conçu, mal testé, pourquoi son comportement n’était-il pas conforme aux spécifications fournies à la FAA ? Comment Boeing a-t-il pu, bâcler, il n’y a pas de mot plus précis, un système vital pour la survie de l’avion et de ses passagers et pourquoi la FAA ne s’est pas impliquée dans les tests du MCAS ? Quel rôle a joué la pression exercée sur les équipes techniques, leur a-t-on imposé de terminer leurs tâches coûte que coûte sans considération des résultats des essais ? Quelles alertes ont-elles été remontées aux managers par les pilotes et les ingénieurs ?

L’hypothèse qui se développe petit à petit au travers des témoignages est que le programme était sous une pression déraisonnable dès son lancement. Boeing voyait sa part de marché s’effondrer devant son concurrent Airbus, cette pression rendait le programme intenable à la moindre difficulté sérieuse et la direction de Boeing n’a jamais accepté de déroger au planning qui conditionnait les livraisons et ses profits. L’hypothèse principale est donc que le 737 Max a été conçu comme un programme de mise à jour du 737 comme cela a été le cas de son concurrent l’Airbus A320 Neo, mais malheureusement le 737 Max s’est avéré fondamentalement incompatible avec ses nouveaux réacteurs. La tragédie du déni s’est développée par l’acharnement à conserver le programme dans le délai prévu, déni qui perdure après deux tragédies aériennes, Boeing ne cessant d'affirmer que tout est résolu alors que les autorités de régulation refusent toujours de certifier la nouvelle version du MCAS.

Il semble donc que les circonstances ayant engendré cet avion dangereux soient toujours à l’œuvre chez Boeing.

Comment reprendre confiance alors qu’encore aujourd’hui Boeing ne reconnait aucune négligence et affirme toujours que la sécurité de ses clients est sa priorité majeure ? Cette sensation que Boeing a bâclé la conception du 737 Max jusqu’à ignorer les normes de sécurité les plus élémentaires n’est pas seulement liée aux multiples défaillances du MCAS, errare humanum est, mais aussi à la communication de la compagnie qui n’a cessé d’affirmer la main sur le cœur que de rapides correctifs résoudraient tous les problèmes de sécurité sans remettre en cause ses processus de conception et de qualité, perseverare diabolicum.

Il y a eu au minimum une négligence collective résultant de la pression de la direction de Boeing sur le management technique et la FAA pour minimiser les failles de l’avion, une négligence plus grave encore en dissimulant aux compagnies aériennes et aux pilotes ces failles et les moyens d'y faire face. Mais il y a peut-être pire, Boeing n’a peut-être toujours pas pris la mesure de ses défaillances en tant que concepteurs d’avions civils. Ce genre de déliquescence avait sonné en 1986 le glas du prestige de la NASA qui avait en toute conscience laissé décoller la navette spatiale Challenger alors que les ingénieurs savaient qu’elle ne pouvait pas voler. Pire encore, la FAA chargée de contrôler sévèrement le travail des avionneurs n’a pas échappé à cette négligence, alors qu’elle n’est soumise à aucune pression financière elle est rentrée dans le jeu malsain de Boeing de tenir les délais à tout prix…

Restent trois questions, Boeing disposait-il d’un processus de conception qui aurait pu éviter le premier crash ? Avec les enseignements du premier crash aurait-il pu éviter le second crash ? Au bout du compte Boeing est-il encore capable de gérer une difficulté majeure dans un programme d’avion civil ? Un élément de réponse à la première question est donné par le communiqué de Boeing du 30 septembre 2019 indiquant que Boeing se réorganise pour améliorer la sécurité.

Chronologie et déclarations de Boeing et de la FAA après les crashs du 737 Max :

La FAA affirme que le 737 Max reste un avion fiable tout en recommandant à Boeing d’accélérer la mise à jour du ‘logiciel anti-décrochage’. La FAA avait donc conscience que le crash était lié à un décrochage et que celui-ci était lié au logiciel de l’avion. De par son implication dans la certification de l’avion, la FAA ne pouvait ignorer que ce logiciel dépendait d’une seule sonde d’incidence tout en sachant également que cette unique sonde était en cause dans le premier crash.

  • 16 mai 2019 – 
  • 13 août 2019 – 

Le nouveau patron de la FAA déclare qu’il n’y a aucune date planifiée pour autoriser de nouveau le 737 Max à voler. http://www.lefigaro.fr/flash-eco/boeing-le-nouveau-patron-du-regulateur-americain-informe-sur-le-737-max-ce-mardi-20190813

  • 24 septembre 2019 – 
  • 25 et 

30 septembre 2019 – Deux communiqués de Boeing annoncent une réorganisation interne pour améliorer la sécurité suite aux deux accidents de 737 - https://boeing.mediaroom.com/2019-09-25-Boeing-Chairman-President-and-CEO-Dennis-Muilenburg-and-Boeing-Board-of-Directors-Reaffirm-Companys-Commitment-to-Safety